vendredi 28 février 2014

La crise de la culture

Se remettre à la philo, le temps d'une lecture, ce n'est pas forcément évident. Même si ce livre d'Hannah Arendt me tentait depuis longtemps, s'il dormait dans ma PAL, je n'arrivais pas à dépasser les premières pages. Et pourtant, c'est une lecture que je ne regrette pas ! 

culture masse divertissement
Biard, Quatre heures au Salon, 1847

Ce livre, nommé Between Past and Future en VO, est composé de huit essais : La tradition et l'âge moderne, Le concept d'histoire : antique et moderne, Qu'est-ce que l'autorité ?, Qu'est-ce que la liberté ?, La crise de l'éducation, La crise de la culture : sa portée sociale et politique, Vérité et politique, La conquête de l'espace et la dimension de l'homme. 

Tout commence avec la situation complexe de l'homme moderne, pris entre les forces du passé et du futur, qui a perdu toute référence à une tradition. Il ne peut agir qu'au moyen de sa pensée. A travers ses essais critiques et expérimentaux, l'auteur propose de s'interroger sur "comment penser ?" .

La tradition et l'âge moderne

H. Arendt introduit son propos en déclarant que la pensée politique naît avec Platon et s'éteint avec Marx. C'est ce monde confus de la caverne, le monde politique, dont le philosophe doit se détourner pour atteindre les idées. Ce à quoi s'oppose formellement Marx quand il déclare que la philosophie et la vérité se trouvent justement dans la société des hommes. Puis elle s'intéresse aux défis que Marx, Nietzsche et Kierkegaard ont lancés à la tradition en s'attaquant aux abstractions philosophiques. Mais bien sûr, le premier à ébranler la tradition, c'est Descartes avec son doute.

Le concept d'histoire : antique et moderne

On entre dans ce texte par la question de la mortalité humaine dans un monde immortel, de la vie comme ligne dans un univers soumis aux cycles. L'immortalité, assurée à l'homme illustre par ses hauts faits et son renom, peut également être trouvée dans la procréation pour l'homme commun, selon Platon (topos de la littérature, que l'on retrouve sous toutes les plumes, notamment celle de Shakespeare). Mais ce lien entre homme et nature a changé depuis l'Antiquité. C'est désormais un sujet d'étude et ce, depuis le choc de la découverte qu'est la rotation de la terre autour du soleil. Cela invite l'homme à se méfier de tout. Le soupçon devient l'aune du jugement. Et l'étude des sciences prend son envol : on cherche la vérité par les expériences. L'histoire est abordée d'une façon assez similaire : on explore la succession des événements dans une vision progressiste pour y trouver la vérité. On peut également y lire une nouvelle forme d'immortalité. Mais n'est-ce pas illusoire ? 

Qu'est-ce que l'autorité ?

H. Arendt analyse divers régimes autoritaires. Le régime hiérarchique qui est fondé sur l'inégalité. La tyrannie qui oppresse tous les hommes de façon égalitaire. Le régime totalitaire qui fournit la fiction de la normalité, où le chef est au centre de la société et où tous lui sont liés.
Platon propose un roi philosophe. Mais Kant souligne que le jugement du philosophe sera forcément corrompu par le pouvoir. A Rome, le pouvoir repose sur la fondation. Une fondation a un caractère sacré, religieux et lié au passé qui doit être respecté dans le futur. Ce concept de fondation est intégré par l'Eglise. Et court dans les révolutions, où l'on réinterprète la fondation comme justification des moyens souvent violents utilisés pour cette fin suprême. 

Qu'est-ce que la liberté ?

L'auteur examine la liberté, sujet de nombreux questionnements et la mesure à la politique. Elle revient notamment sur l'idée que la liberté politique est un moyen de se libérer de la politique

La crise de l'éducation

Tout part de la notion de crise de l'éducation aux Etats-Unis. On pose rapidement le contexte : les USA, par leur politique d'immigration, accueillent une population diverse. C'est un pays toujours neuf, qui goûte la nouveauté et croit à la perfectibilité. La première cause de la crise de l'éducation serait l'autonomie des enfants, affranchie de l'autorité des adultes. La deuxième, c'est un intérêt porté à la manière d'enseigner plus qu'à ce que l'on enseigne. La troisième, c'est la substitution du faire à l'apprendre, qui supprime la différence entre travail et jeu. La philosophe dénonce le côté infantilisant de ces actions, qui ne préparent pas l'enfant à devenir adulte. Elle signale aussi la difficulté mais aussi l'obligation d'agir avec conservatisme dans l'éducation, de conserver cette relation entre enfant et adulte. L'autorité et la grandeur qui autrefois résidaient dans l'exemple du passé, dans l'exemplarité de la vieillesse, ne sont plus des notions de notre temps. C'est tout le problème de conserver autorité et tradition dans l'éducation quand le monde n'est plus structuré par ces principes... 

La crise de la culture : sa portée sociale et politique

H. Arendt nous introduit tout d'abord à la société de masse, qui incorpore toutes les couches de la population. Plus d’échappatoire possible vers les franges, tout le monde est au même niveau. 
Puis elle s’intéresse au lien entre l'homme et l'objet culturel. Cet objet se caractérise par sa durabilité et sa façon d'émouvoir. L'un des rapports tronqué avec l'objet culturel est utilitaire, c'est celui du philistin qui en fait un objet de raffinement social. "L'ennui avec le philistin cultivé n'est pas qu'il lisait les classiques, mais qu'il le faisait poussé par le motif second de perfection personnelle, sans être conscient le moins du monde que Shakespeare et Platon pourraient avoir à lui dire des choses d'une autre importance que comment s'éduquer lui-même."
Puis elle se plonge dans le rapport entre objet culturel et société de masse. Là, c'est le loisir qui prime et le bien culturel devient un bien de consommation comme les autres. La culture de masse consomme les biens culturels et les déforme (réécriture par exemple) pour leur donner une forme divertissante. "Bien de grands auteurs du passé ont survécu à des siècles d'oubli et d'abandon, mais c'est encore une question pendante de savoir s'ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce qu'ils ont à dire".
La philosophe s'interroge ensuite sur le lien entre culture et politique et revient sur la notion de goût (Kant, youpi !). Le goût est une faculté de juger politique, à savoir qu'il lui permet de s'orienter dans le domaine public. Il n'est pas question de savoir ou de vérité ici mais de jugement. "Une personne cultivée devait être : quelqu'un qui sait choisir ses compagnons parmi les hommes, les choses, les pensées, dans le présent comme dans le passé". 

Vérité et politique

La philosophe dans cet essai revient sur le lieu commun qu'est le rapport compliqué de la vérité au politique : "Est-ce l'essence de la vérité d'être impuissante et l'essence même du pouvoir d'être trompeur ?". De même, n'est-ce pas absurde de croire que la vérité puisse avoir plus d'importance que la vie même ? L'existence ne prime-t-elle pas sur tous les autres principes ? L'opposition entre vérité et pouvoir, c'est celle de la vérité et de l'opinion, du philosophe et du citoyen. Et l'opinion est une des bases du pouvoir. Qu'advient-il de la vérité en cas de monopole du pouvoir ? 
La vérité même repose sur la coercition : la vérité géométrique ou mathématique n'est-elle pas despotique ? "Même Dieu ne peut pas faire que deux fois deux ne fassent pas quatre" dit Grotius. Elle n'admet pas la discussion à la différence de l'opinion qui se partage par la persuasion. 
En outre, la philosophe interroge l'impartialité et la recherche de la vérité dans l'histoire. Elle prend sa source, selon elle, chez Homère qui met sur le même plan l'ami et l'ennemi, Achille et Hector. Et c'est cette objectivité première qui fonde notre désir d'intégrité intellectuelle. 

La conquête de l'espace et la dimension de l'homme

Dans ce dernier essai, H. Arendt s'interroge sur la science et les techniques. Elle met en garde contre la destruction de l'homme par lui-même dans un monde entièrement façonné par la technologie.

La lecture de l'ensemble de ces essais s'est avérée très intéressante, riche et complexe. H. Arendt ne cesse de renvoyer à d'autres philosophes : Platon, bien sûr, mais aussi Kant, Marx, Hegel, etc. Et pour quelqu'un donc la culture philosophique commence à s'éloigner, il fallait souvent relire et se documenter à mesure de la lecture. Ce qui n'est pas spécialement agréable mais qui permet de retirer quelque chose de sa lecture. 
J'ai été particulièrement attentive à ce qui concerne la culture, qui me semble très juste et se réalise dans notre société actuelle. Cela m'a interrogée sur ma façon de courir les expositions et de dévorer des livres. Est-ce une façon de consommer et de me divertir ? Est-ce que je cherche à en apprendre quelque chose ? Est-ce que je sais profiter simplement de la beauté des œuvres ? Et vous, comment envisagez-vous votre rapport à la culture ?
Une lecture que je conseille, qui donne envie de relire son Platon et d'enfin dépasser les premières pages des pavés de Kant... 


jeudi 27 février 2014

S.O.S. Bonheur

C'est ma copine Arsène (bon miss, quand est-ce que tu reblogues ?!) qui m'a conseillé cette BD de Griffo et Van Hamme. Et je dois dire qu'elle a bien fait car la couverture ne m'aurait pas forcément donné envie de découvrir l'intérieur.

Cette intégrale propose plusieurs courtes histoires : Plan de carrière, A votre santé, Vive les vacances !, Sécurité publique, Planning familial, Profession protégée, dont tous les personnages se retrouvent dans la dernière partie, Révolution. Chaque récit nous introduit à une facette d'une société où tout est fait pour le bonheur universel. Oui, le thème fait beaucoup penser au Meilleur des mondes
Pour cela, rien de plus simple. La population est encadrée, n'a pas de liberté. Mais l'on veille de très près à votre hygiène, à votre poids, à votre nourriture, à la destination de vos vacances, aux divertissements autorisés (pas de promenades sur la plage mais les animations sportives des GO). Les artistes doivent créer des œuvres dans domaines autorisés, sans parler de malheur ou de liberté. Bref, le gouvernement encadre les moindres moments de votre vie... 



Je ne suis pas dingue du dessin, très réaliste, très brut mais je trouve qu'il colle bien au thème, qu'il le rend encore plus crédible. Quant au sujet, je trouve qu'il est très bien traité, laissant une part de mystère et de cynisme. Merci pour cette belle découverte ! 

mercredi 26 février 2014

Un vent de cendres

Une semaine à peine après ma lecture de Des nœuds d'acier, j'étais intriguée par le dernier livre de Sandrine Collette. Merci au Livre de poche et aux éditions Denoël pour l'envoi ! 


Tout commence par un accident de voiture dramatique et violent. Dont miraculeusement réchappent Octave et Andréas. 
Dix ans plus tard, les deux hommes vivent de vignes en Champagne. Tous les étés, ils recrutent des jeunes gens pour les vendanges. C'est Lubin, leur contremaître, qui les accueille. Si Henri et Charlotte viennent tous les ans, c'est une première pour Malo et Camille. Malo, brun, impulsif, sent un léger malaise en entrant dans la propriété. Sa soeur Camille, fine et blonde, attire les regards du maître des lieux, Octave, le boiteux. Car Andréas ne sort plus, on l'appelle l'Arlésienne. 
Au fil des jours, les dos font mal, les mains saignent mais les jeunes gens poursuivent les vendanges. Jusqu'à ce que Malo disparaisse. Camille s'inquiète et décide de mener son enquête, persuadée que cette disparition n'est pas une fugue. Mais personne ne la prend au sérieux. 
A mesure des jours, l'angoisse sourde se fait plus intense. L'ambiance se dégrade, devient malsaine. Jusqu'au dernier jour, qui vient clore la semaine en apothéose...

Ce roman a su me captiver dès les premiers mots et m'a tenue en haleine jusqu'aux derniers. Je l'ai dévoré en une soirée, incapable de le reposer. Il y a un peu de la Belle et la bête dans ce livre. Mais j'ai surtout pensé à Kasischke, pour cette nature hostile, pour ces personnages ambigus. 

Brrr, une délicieuse lecture qui fait froid dans le dos et que je n'oublierai pas de sitôt. 

mardi 25 février 2014

Last exit to Brooklyn

Un grand merci aux éditions Albin Michel pour l'envoi de ce roman incontournable d'Hubert Selby Junior. Figurez-vous que ce classique a été réédité dans une nouvelle traduction de Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet. Ne connaissant pas l'ancienne, je n'ai pas de point de comparaison. Je peux simplement vous assurer qu'on y sent très bien l'oralité du discours. Un petit extrait pour la route :"Tu parles d/une occase. Pour que les flics mettent une bécane au rancart, faut qua soit déjà nase cent pour cent. Mais bon c/était une bécane et elle roulait. jcrois bien quce zigoto s/en srait servi même s/il avait dû la pousser ou la faire rouler en pédalant, tsais, comme dans une bagnole de gosse. On était pas là depuis 5 minutes quysmet à donner des coups de kick et nous on écoute les ratés du moteur qui smet à tousser et vlà mon Spook qui sen va rak-pout-pout un sourire à la con sur la figure et nous on rmonte dans la salle et 3 minutes après le vlà qui sramène avec un sourire de vingt mètres y sbalade dans la salle la lanière de son casque sous le menton. Chte dis pas, c/était à pisser de rire".

Ce roman nous conduit dans Brooklyn, parmi des êtres violents, paresseux, tristes, intéressés... pas d'espoir pour eux. On rencontre en premier lieu un groupe de jeunes qui se réunit chez le Grec et se défoule en tapant sur des militaires. Puis Georgette, un travesti camé, amoureux de Vinnie, qui sort de prison. Puis Suzy et Tommy qui baptisent leur gamin. Ensuite, on tombe dans le glauque avec Tralala qui se prostitue au plus offrant, forte d'une paire de seins remarquable. C'est une histoire qui ne finit pas bien. Le récit suivant est le plus long. Et certainement celui qui m'a le moins plu. Harry Black fait partie du syndicat. On entame une grève. Le voilà responsable du local qui accueillera les grévistes. Comme ça va durer, autant s'y mettre à l'aise. Quant à la dernière partie, elle est polyphonique. Chaque paragraphe annonce un nouveau locuteur. Leur point commun ? Ils habitent tous le même immeuble. Très chouette ce moment avec les avis des uns sur les autres... 

L'ensemble, relié par les membres d'une bande, que l'on retrouve ici et là, d'histoires en histoires, est d'une grande noirceur. La misère suinte de ce livre. Misère économique mais aussi culturelle, sociale et spirituelle. L'écriture très crue et descriptive ne fait que renforcer le sentiment qu'il est impossible de sortir de cette cruauté et de cette violence. Bon, je ne vous parle même pas des relations homme-femme qui ne passent que par la violence et les insultes.

Pour être tout à fait franche, j'avais très peur de ce roman. Je pensais tomber dans un autre Bukowski. Si l'on retrouve cette même cruauté, on ressent moins l'aspect autobiographique. Et on est dans l'action plus que dans l'imagination... Bref, à mon grand étonnement, je me suis moins sentie voyeuse dans ce roman. Mais ce serait mentir que de dire que certaines scènes ne me poursuivront pas.

Soutine carcasse
C. Soutine, Le Boeuf, 1925

dimanche 23 février 2014

Kazimir Malevitch et l'avant-garde russe

Voilà une exposition qui se tenait au Stedelijk museum d'Amsterdam cet hiver et qui vient de fermer ses portes. 

A vrai dire, je n'ai pas une passion particulière pour Malevitch mais j'étais curieuse de voir ce qu'il avait pu faire après son Carré blanc sur fond blanc. Parce qu'on te parle souvent du cubo-futurisme et du suprématisme. Mais qu'a-t-il fait après ça ? Eh bien... plus ou moins la même chose.

Mais cette expo avait ceci d’intéressant qu'elle reconstituait l'exposition 0.10, qui voit la naissance du suprématisme. Elle proposait également de visionner un opéra expérimental, Victoire sur le soleil... Malevitch en a dessiné les costumes. Plongée dans l'absurde. Ce qui était étonnant aussi, c'est tout ce qui concernait les cours qu'il pouvait donner. Entre mathématiques et art. 
Et son lien avec la Révolution russe. S'il est d'abord l'image de la modernité, dans les années 30, il est écarté, comme tous les peintres de l'abstraction.

Une belle découverte. 

Malevitch stedelijk Amsterdam suprematisme

samedi 22 février 2014

Rodin, la lumière de l'antique

Bon, j'arrive après la bataille avec mon billet. L'exposition s'est terminée il y a une semaine... Mais ce n'est pas une raison pour ne pas en parler !

Rodin antique cariatide 1882
Rodin, Cariatide tombée portant sa pierre, 1882

Le titre et le présupposé laissent imaginer un propos assez convenu sur l'inspiration antique dans l'oeuvre de Rodin. A vrai dire, il y a un peu de ça. Car l'exposition s'ouvre sur des statues du sculpteur mises en résonance avec des moulages d'antiques : l'Âge d'airain à côté du Diadumène, le Torse du belvédère près du Penseur... Soit. On complète cela par quelques dessins. Et le tour est joué ! Mais ce n'est certainement pas là le plus intéressant : cette démonstration peut s'appliquer à bon nombre d'artistes depuis la Renaissance.

Ce qui l'est plus en revanche, c'est l'exposition de la collection d'Antiques de Rodin. Et la façon dont il l'utilise pour créer des œuvres originales. Assemblant coupes antiques et silhouettes féminines, le sculpteur crée Fleurs dans un vase, une façon de repenser les vases de Canosa (en mieux). Il joue aussi au restaurateur. Mais c'est surtout dans les jeux avec les fragments qu'il est le plus pertinent. C'est le moment de tomber en pâmoison devant la douceur et la pureté des fragments de statues antiques dont les cassures viennent magnifier la beauté. Et Rodin là encore nous étonne avec sa Pallas au Parthénon, sa Mort d'Athènes et sa Minerve sans casque !


Un petit mot de Rodin pour la route, tiré de « la leçon de l’Antique », le Musée, janvier-février 1904 : "Tout d’abord l’Antique est la Vie même. Rien n’est plus vivant que lui, et aucun style au monde n’a su, ni pu rendre la Vie comme lui. L’Antique a su rendre la Vie, parce que les anciens ont été les plus grands, les plus sérieux, les plus admirables observateurs de la Nature qu’il y ait jamais eu. L’Antique a pu rendre la Vie, parce que les anciens, grâce à cette maîtrise dans l’observation de la Nature, ont vu ce qu’il y a d’essentiel, c’est-à-dire les grands plans et les détails de ces grands plans : et comme là est la vérité même, jamais leurs figures ainsi construites n’ont pu s’amollir."

Après, je suis restée assez insensible à la question de la lumière... Il faisait déjà nuit quand j'ai visité l'expo avec le SMV.

Une toute petite exposition, qui permet quelques belles surprises.

vendredi 21 février 2014

Des nœuds d'acier

Un grand merci au Livre de poche pour l'envoi de ce roman de Sandrine Collette dont j'avais entendu beaucoup de bien.

Le titre ne vous dit rien ? Mais si voyons ! C'est l'histoire de Théo, un type moyennement sympa et recommandable qui se voit réduit en esclavage. Il sort de prison et va se perdre dans la campagne profonde. Lors d'une promenade, il traverse le terrain d'un vieil homme qui l'invite à boire un verre. Et se réveille plus tard avec une belle bosse, enchaîné au fond d'une cave, à côté de Luc. Cet homme décharné est l'esclave des vieux depuis huit ans. Théo va le seconder. Le voilà obligé de servir deux frères pour espérer être nourri. Traité comme un chien, Théo n'a qu'une idée en tête : échapper à cet enfer.

Ce roman de Sandrine Collette m'a beaucoup fait penser à Misery, lu récemment. On retrouve la folie des geôliers, leur brutalité mais aussi leur dépendance à cet esclave (enfin, pour Joshua plus que pour Basile). Et Théo brûle de partir mais tremble de cette audace. 

L'auteur, à travers le journal intime rétrospectif de Théo, imagine la déchéance d'un homme. Ses désirs limités au plus simple : rester vivant. Même s'il faut pour cela laisser d'autres mourir. Elle explore les liens entre une fratrie de dingues dégénérés et surtout entre esclaves et maîtres, entre bourreaux et victimes. Et ça fait froid dans le dos !

L'ensemble est conté d'un ton froid et simple : Théo se souvient et décortique. Mais impossible pour le lecteur de rester indifférent. Après s'être senti voyeur dès les premières pages (on nous annonce un fait divers bien glauque), celui-ci oublie ses scrupules et plonge dans le sordide, captivé par la folie humaine, oppressé par ce huis-clos.

Ruine campagne angoisse

jeudi 20 février 2014

L’avènement des loisirs 1850-1960

Cet essai coordonné par Alain Corbin brosse, à travers une dizaine d'articles, l'histoire du temps libre. Chères lectrices, saviez-vous qu'au début du siècle, il était réputé dangereux de lire, surtout quand il s'agissait de romans-feuilletons ? Ils font, je cite M. Langevin, "dans le cerveau des femmes les mêmes ravages, et de plus graves peut-être, que l'alcool dans celui des hommes". En gros, c'est la porte ouverte à la déchéance morale et à l'abrutissement de l'ouvrière. Eh oui, plus que son travail... Étonnant, non ? 

côte d'azur aristocratieCes articles s'intéressent au loisir en Angleterre, en France, en Italie et en Allemagne essentiellement, dans les villes et les campagnes, dans les classes aisées comme populaires. L'analyse commence dans les années 1850 où la Révolution Industrielle modifie profondément les rythmes du travail. Alors que loisir et travail peuvent être poreux à la campagne ou dans les commerces (foires, lecture du journal entre deux clients), ce n'est évidemment pas le cas à l'usine. La première réflexion sur le temps libre émane bien souvent de philanthropes, patrons paternalistes, qui veulent encadrer le loisir ouvrier. Par ailleurs, le développement des transports favorise l'habitude de l'excursion de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie hors des villes, vers le bord de mer ou les cures thermales. Dans les années 1890 à 1930, le paquebot est roi. Initialement peu dévolu au loisir, il intègre de plus en plus de divertissements.


Que faire pendant son temps libre ? Fuir la ville et se ressourcer près de la nature ? Cette pratique aristocratique s'étend à la bourgeoisie. C'est le temps de la mise en avant du corps sportif dont parlait La Roue et le stylo. Mais il existe aussi un loisir citadin qui consiste à aller au spectacle, au bal, au parc, chacun selon son rang... Et il est amusant de lire ici combien certains loisirs populaires s'inspirent de ceux des classes aisées. Voire combien l'on souhaite maîtriser le temps de loisir populaire afin qu'il n'entraîne ni paresse ni rébellion.

D'autres sujets sont traités comme le développement de la pratique du football, de la pêche ou du bricolage jusqu'au vote des premiers congés payés. Tout article est introduit par Alain Corbin et rédigé par un des contributeurs (liste plus bas). Hélas, j'ai noté des disparités dans ces articles, tous ne sont pas aussi agréables à lire (mais tous sont intéressants) et tous ne sont pas toujours très structurés. C'est dommage car l'analyse de l'auteur se perd dans des descriptions de faits et ne ressort pas de façon évidente. Bon, c'est mon côté historien qui parle, ne vous inquiétez pas. 

Les contributeurs de cet ouvrage sont Julia Csergo, Jean-Claude Farcy, Roy Porter, André Rauch, Jean-Claude Richez, Léon Strauss, Anne-Marie Thiesse, Gabriella Turnaturi et Georges Vigarello. 

mercredi 19 février 2014

Minuscule

Ce film d'animation français enchanteur nous emmène au fin fond du parc du Mercantour, assister à la naissance de trois petites coccinelles. Quelques minutes après leur envol, voilà que l'un des bébés coccinelles perd la trace de ses parents et ses frères. Malmené par une brigade de mouches, il en perd même l'usage d'une de ses ailes.
Après plusieurs jours d'errance, il arrive sur un lieu de pique-nique abandonné, et va faire la connaissance d'une bande de fourmis noires autour d'une boîte à sucre, qui va les emmener vers de folles aventures...

Ne vous y trompez pas : Minuscule est une pépite, un concentré de poésie et d'humour à la jonction entre Microcosmos et Wallace et Gromit. Nul besoin de paroles pendant les 80 minutes que dure le film, les bruitages réussis et les grands yeux de la petite coccinelle font suffisamment passer de choses. Et mon Dieu que c'est meugnoooon !

Je n'ose pas en dire plus de peur de gâcher les belles surprises que réserve le film, mais courez vite voir ce petit bijou d'humour et d'inventivité !

Minuscule araignée et coccinelle
D.R.
Il existe visiblement une série et vous pouvez voir quelques extraits sur le site de Minuscule

lundi 17 février 2014

Comment j'ai détesté les maths

Ce documentaire d'Olivier Peyon s'intéresse au statut que les mathématiques ont atteint dans notre société du 21e siècle. A travers des rencontres avec des profs de prépa, des chercheurs en mathématiques ou des enseignants à Berkeley, il nous fait aussi rentrer dans un monde méconnu et victime de beaucoup de stéréotypes.


Mondrian Composition in Oval 1914 Amsterdam
Plusieurs aspects des maths sont ainsi abordés. Tout d'abord, les maths comme mode de sélection dans le système scolaire. Là où le consensus est de penser que les mathématiques sont égalitaires et démocratiques, on se rend vite compte que tout le monde n'est pas égal devant elles. Est-ce que cette matière mérite vraiment la place que l'on lui donne ? Fait-on trop de mathématiques dans nos classes ? En fait-on bien ? On apprend tout de même que des générations d'élèves ont été traumatisés par l'avènement des "maths modernes" qui remplaçaient la définition classique de la ligne droite, "le plus court chemin d'un point à un autre", par une définition de 4 lignes intégrant la notion d'ensemble et de droite affine... 
Étonnante chose pour les mathématiciens que les méthodes d'apprentissage changent si souvent, et que l'on n'arrive pas à trouver la "meilleure" d'entre elles.

On aborde également, au fil de discussions avec des mathématiciens, la recherche fondamentale. Sa beauté, son aridité parfois, et aussi l'exigence qu'elle requiert. C'est l'occasion d'entendre les vues de Cédric Villani, médaille Fields 2010, sur ce métier. On rencontre aussi des chercheurs qui étudient le cosmos, ou l'écoulement de miel sur un tapis roulant... Et l'on voit beaucoup d'étoiles dans les yeux, de grattements de têtes devant des tableaux noirs, de persévérance. Ça m'a fasciné de voir à quel point les gens qui travaillent dans la recherche en mathématiques sont convaincus de la beauté de ce qu'ils font. 

Enfin, le film se concentre sur l'impact des mathématiques, au quotidien, dans notre société, par le biais des mathématiques financières. C'est peut-être la partie du film qui prend le plus parti. On constate en tout cas que si les modèles mathématiques sont omniprésents (dans les banques, dans nos entreprises, sur les rapports de nos dirigeants), bien peu de personnes les comprennent réellement profondément. Les limites du modèle qui a causé la crise des subprimes étaient connus de chercheurs : ce mode d'optimisation marchait localement, ils l'avaient bien remarqué. Mais quand chaque banquier et trader a découvert le rendement qu'il pouvait obtenir localement avec cette nouvelle technique, il en a profité à son échelle, et la généralisation du modèle a causé la crise de 2008. 

Un film vraiment intéressant, qui n'appelle pas à rejeter les maths ou faire naître des vocations, mais qui nous fait toucher du doigt un monde certainement trop mystifié et replié sur lui-même.

dimanche 16 février 2014

Dictionnaire amoureux des explorateurs

Je ne vous présente plus cette collection que j'affectionne chez Plon. Le nombre de références sur ce blog parle pour elle.


Cet opus de Michel Le Bris nous invite à rencontrer des explorateurs. Personnages historiques ou légendaires, terres inconnues ou imaginaires, peuplades surprenantes, il y a un peu de tout cela dans ce dictionnaire. J'ai pu suivre la course au pôle Nord par Peary et Cook ainsi que les expéditions de leurs prédécesseurs dans ce désert blanc. J'ai rencontré des illuminés comme lady Stanhope qui se prenait pour Zénobie. J'ai accompagné les Islandais, les bretons, les espagnols et beaucoup d'autres à la découverte des Amériques. J'ai rêvé aux ouvrages de Conan Doyle, Jack London ou Stevenson.

Bref, j'ai découvert beaucoup d'explorateurs (je ne suis pas très calée sur le sujet) et d'explorations, j'ai noté quelques titres de bouquins. J'aime beaucoup ce format qui permet de s'informer en quelques pages sur les grands noms d'un sujet précis. Et la subjectivité de ces choix, les liens entre l'auteur et le thème sont particulièrement forts et intéressants ici. On se rend compte que tous ces hommes ont façonné l'imaginaire de Le Bris. Et c'est ainsi qu'il nous donne le goût de le suivre. C'est enlevé, bien écrit... Par contre, même si je retiens les anecdotes, j'ai un peu de mal avec les noms de chacun. Il faudra que je compulse cet ouvrage régulièrement !

Un livre qui donne envie de partir à l'aventure !

samedi 15 février 2014

Roman d'une garde-robe, le chic d'une parisienne de la Belle Epoque aux années 30

Visitée à plusieurs reprises (avec ma maman et lors du SMV125), je n'avais toujours pas pris le temps de vous parler de ce déploiement des belles coupes et matières. 

A l'origine de cette exposition au musée Carnavalet, une donation au musée Galliera. Celle de la garde-robe d'Alice Alleaume, première vendeuse chez Chéruit, une maison de couture oubliée aujourd'hui. 

L'expo commence avec la rencontre de la famille d'Alice. Sa mère, Adèle, est couturière. Sa soeur, Hortense, travaille chez Worth. Pas très étonnant qu'Alice s'intéresse également à la couture. Avec son joli minois et sa grande taille, c'est une femme qui aime et porte bien les jolis vêtements comme nous le découvrons avec ses robes et ses chapeaux. 

Dans la Gazette du bon ton
On entre ensuite dans l'univers du luxe, de la haute couture, inventée par Worth, et de la place Vendôme : on en découvre les maisons de couture, la clientèle huppée et le bon goût. Car toutes cherchent à être élégantes, mais Sem, dessinateur, croque les belles dans Le Vrai et le faux chic. Si l'on est pas chic, on devient ridicule ! La maison Chéruit, où Alice est première vendeuse, renaît ensuite sous nos yeux : carnets de commandes, robes, tissus donnent un aperçu de la créativité de cette maison et de son succès. Les carnets d'Alice sont pour cela des mines d'informations sur les clientes, leurs goûts, leurs habitudes... 
Tailleur Chéruit, 1914
Puis, dans les années 1920, Alice devient mère. Elle joue à la poupée avec sa fille qui est vêtue de charmants tutus ou de pyjamas. Mais elle n'en conserve pas moins son goût pour les belles coupes : une robe de Lanvin a particulièrement retenu mon attention. Sa garde robe va du maillot de bain à la robe du soir, toujours moderne et originale. Toute cette partie, plus descriptive, alors qu'Alice n'est plus première vendeuse mais gérante d'un cinéma m'a semblé être plus fourre-tout. C'est une promenade dans un dressing. Ce n'est pas désagréable j'ai moins aimé être dans l'intimité d'une collectionneuse de belles matières que dans l'histoire des maisons de couture. 

J. Lanvin, robe "Vestale", 1932
Cette exposition est un régal pour les yeux. Les étoffes brodées de strass et de perles, les coupes, académiques ou audacieuses, les accessoires ouvragés et originaux, tout séduit l'amateur de mode, le nostalgique des années 20 ou l'historien du vêtement. Comme d'habitude, je vais râler sur les cartels : ils sont parfois peu lisibles avec le reflet des vitrines ou placés trop bas. Mais c'est déjà beaucoup plus malin que lors de l'expo de l'Hôtel de ville où les cartels collés sur les vitrines étaient illisibles. Bref, je compatis avec les scénographes, il parait impossible d'avoir une solution bien lisible pour expliciter des objets qui nécessitent de telles vitrines. Mon second reproche touchera le cœur même de l'expo à savoir sa problématique. Les salles se suivent comme autant de moments de la vie d'Alice Alleaume. Très bien. A la rigueur, ça peut m'aller un cheminement chronologique. Mais pourquoi ne pas conclure sur ce qu'il advient d'Alice et expliciter le contexte de la donation ? Bref pourquoi nous abandonner, sans conclure, dans les années 30 avec des costumes et des fleurs artificielles ? Et si l'on est dans une expo thématique, ce qui n'est clairement pas le cas, on pose des questions, on analyse, on fait réfléchir un peu le public. Ici, on tombe dans le triste travers du "Regarde comme c'est beau" qu'un discours minimaliste (panneaux introductifs pas assez bavards à mon goût dans les dernières salles et cartels peu développés) sous-tend. C'est vraiment dommage car on sent, lorsque l'on suit une visite guidée par le commissaire, que cette exposition a nécessité des recherches importantes, a soulevé des questions, mais tout cela disparaît dans le cheminement assez plat des dernières salles.


Une robe Chéruit de 1921 qui ne détonnerait pas aujourd'hui !

vendredi 14 février 2014

Des romans avec plein d'amour dedans

Cher Amoureux, quelle est ton histoire d'amour favorite ?

J'aime les histoires tragiques, les amours impossibles. J'ai particulièrement été marqué par des mangas comme Chobits ou Angel Sanctuary

Et toi, Praline ?

J'aime aussi ce type d'histoires. Avec un faible pour Belle du Seigneur, Aurélien ou Phèdre par exemple. J'aime aussi quand ça se finit bien mais que ça commence mal comme Jane Eyre

Mes romans d'amour favoris sur le blog seraient Autant en emporte le vent. Pour Rhett. Pour ce timing raté. 
Le musée de l'innocence. Pour l'amour qui vire au fétichisme. 
Et pour la technique, il y a des lectures pour ceux qui veulent se câliner ou plus, si affinités...

amour tragique valentin
Dans le genre tragique, Paola et Francesco...

jeudi 13 février 2014

Le petit livre des couleurs

Ce très court essai de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet est une bonne introduction à l'histoire des couleurs. 

Présenté sous la forme d'une interview, ce livre explore de façon dynamique et concise le bleu, le rouge, le vert, le jaune, le blanc et le noir. Il s'intéresse également au violet et à l'orange ainsi qu'à ces couleurs récentes dans la langue, inspirées par des éléments naturels : rose, marron, lilas, etc. Le gris vient clore la palette. 
pigment couleur histoire

Comme La couleur de nos souvenirs, ce livre considère les évolutions longues des couleurs. Ainsi, le bleu n'était pas très populaire dans l'Antiquité, à tel point que certains historiens imaginaient que les grecs ne le voyaient pas. Ce qui est dommage pour un pays de marins ! Il prend ses lettres de noblesse au Moyen-Age quand Dieu devient lumière. Et que la lumière pour les hommes de ce temps est bleue. C'est d'autant plus visible avec la vierge, vétue d'un manteau bleue parce qu'elle habite le ciel... et que celui-ci est alors vu bleu. Repris par les rois et les aristocrates qui se mettent sous la protection mariale, le bleu gagne en popularité. Et il est aujourd'hui la couleur préférée des occidentaux. L'histoire du rouge, entre pourpre impériale ou cardinalice et rouge infernal ou séducteur, joue sur une ambivalence entre le feu et le sang. Le vert est réputé porter malchance. Le jaune est la couleur du traître... 

Entre histoire et symbolisme, cet essai est passionnant et donne envie de lire les monographies de Pastoureau dédiées à une couleur particulière. Et ce qui est chouette, c'est que j'ai justement le Bleu dans ma PAL. 

Découvrez ici les entretiens dont a été tiré le livre avec cette histoire du bleu.

mercredi 12 février 2014

Le siècle d'or de l'éventail, du roi soleil à Marie-Antoinette

Alors que nous nous cassions le nez sur la porte du musée Carnavalet (en grève), nous avons cherché quel musée nous pourrions visiter à proximité. Notre choix s'est porté sur le musée Cognacq-Jay, que nous ne connaissions que de nom. Nous avons profité d'une belle petite exposition de quatre salles consacrée à l'éventail aux XVIIe et XVIIIe siècles.


Petit accessoire féminin et aristocratique, l'éventail est un indispensable de la dame de cour qui l'utilise comme un véritable langage. Ce qui est amusant, c'est que le décor de l'éventail, loin d'être purement décoratif, reprend des scènes de la vie quotidienne, vues pittoresques des marchés de Paris par exemple, des événements marquants du royaume comme des naissances, sacres, baptêmes des personnages princiers ou le rattachement d'une province à la France, voire des avancées scientifiques comme le ballon. Bien entendu, on retrouve aussi des motifs mythologiques, très à la mode à ce moment, et des scènes galantes inspirées de peintres comme Boucher. 

Ce qui est particulièrement frappant dans les éventails présentés, c'est la beauté de leurs matières (ivoire, écaille, métaux précieux) et la finesse du travail des tabletiers. On remarque également des jeux coquins ou savants dans des mécanismes coulissants, qui transforment Actéon en cerf, une vieille femme en jeunette près de la fontaine de jouvence, voire des visages en scènes coquines. En outre, certains sont équipés d'un thermomètre ou d'une loupe. 

Cette petite exposition est tout à fait plaisante. Elle apporte beaucoup d'informations sur cet objet quotidien. Si les artisans qui les ont réalisés sont visiblement peu identifiables, ils sont malgré cela virtuoses. Courte, avec des cartels clairs et un petit film, c'est une belle réussite.

mardi 11 février 2014

La roue et le stylo. Comment nous sommes devenus touristes

Ce livre de Catherine Bertho Lavenir nous invite à découvrir comment le développement technique, accompagné de son écriture, invente le tourisme.

Villégiature elegantesTout commence au XIXe siècle, avec les villégiatures. Réservée à l'aristocratie, elle effraie le bourgeois qui y voit une perte de temps. Et c'est contraire à ses valeurs qui portent aux nues le travail et l'effort. 
La première démocratisation de la villégiature, c'est le chemin de fer qui l'apporte. Reliant la ville aux bords de mer, il s'allie aux villes qu'il dessert pour créer une véritable mythologie de la ville balnéaire. On voit dès 1890 des affiches aux belles élégantes se promenant sur un rivage ou une cote domestiquée avec son casino dont l'habitant, en habit régional, promet exotisme et authenticité. Le tout porté par un discours médical favorable aux cures et bains. A ce même moment, on lit un développement des récits de voyages : Stendhal, Dumas ou Abel Hugo se plient à l'exercice, notant ce qu'il faut voir, constituant des guides touristiques avant l'heure dont la préoccupation première est esthétique. Enfin, les années 1850 sont celles de l'éclosion du sport comme valeur. Il faut goûter au plaisir de fatiguer son corps, de faire du sport en groupe, dans un esprit de belle camaraderie. On marche, on mange et on raconte. 

Puis, émerge vers 1880 un sérieux concurrent à la marche, la bicyclette. Celle-ci est initialement diabolisée : n'est-elle pas indécente pour les curés et les femmes ? Elle est d'abord utilisée par les bourgeois puis rapidement diffusée dans des milieux ouvriers et ruraux. Cette pratique du vélo est très liée à l'écriture. Nombreux sont les sportifs qui envoient aux revues dédiées, notamment au Touring-club de France, la description de leurs excursions, en style "cycliste", accompagnée si possible de prise de vues photographiques (oui, les premiers explorateurs modernes devaient être bien chargés). Tout compte : le paysage et les monuments, mais aussi les hôtels, les auberges, rencontrées en chemin. Et chacun de partager ses trucs et astuces en mécanique pour améliorer les systèmes de freins et de dérailleurs pour monter les côtes et descendre les pentes. Par ailleurs, le Touring-club devient aussi le lieu où l'on relaie les demandes de routes plus adaptées, de signalisation et même de confort. Car entre les bourgeois des villes qui jouent aux explorateurs et les commodités des campagnes, il peut y avoir de sacrées différences. Au début du XXe siècle, la revue signale les hôtels fréquentables, à savoir qu'ils comportent des sanitaires, qu'ils sont propres et que la nourriture y est mangeable. 

Un nouveau moyen de transport est inventé dans les années 1890, longtemps réservé à une élite très aisée, l'automobile. Et, l'on n'y pense pas, mais au début, rien n'est fait pour l'automobile : pas de route goudronnée, pas de station service, pas de mécanicien. Il faut faire preuve d'un bon esprit pratique et oser mettre les mains dans le cambouis pour utiliser son auto. Et ce qui est compliqué, c'est la cohabitation de la voiture, du cycliste, du piéton, du cheval... et des autres animaux sur les routes. Il y a une véritable guerre pour savoir à qui appartient la route. Nos ancêtres découvrent aussi de nouveaux sports : canoë, tennis, yachting, ski... le tout au grand air, dit vivifiant. Des colonies de vacances s'organisent autour de ces activités pour les jeunes gens et le scoutisme naît. 

Une véritable culture du loisir et des congés se fait jour. Bien entendu, c'est 1936 qui marque une vraie rupture même si, les premières années, les ouvriers ne partent pas forcément très loin et envisagent les vacances comme un long week-end. Ils en profitent pour rejoindre la famille à la campagne par exemple. Mais lorsqu'ils gagnent les stations balnéaires, c'est le choc des cultures. Des règlements sont mis en place : on ne se déshabille pas n'importe où sur une plage, on ne s'entasse pas sauvagement près des côtes... Des campings et des clubs sont créés spécifiquement pour les vacanciers, qui après-guerre viennent en voiture. De nouvelles destinations émergent, plus lointaines, avec ce fantasme de découvrir des lieux peu foulés par d'autres touristes. Dans ce même temps, le club Med rencontre un succès croissant, ne proposant aux vacanciers que le loisir et le repos. Si les villes cherchent toujours plus à attirer des vacanciers autour d'activités (sons et lumières, visites de monuments, concerts, etc.), ceux-ci peuvent bouder des divertissements pour le simple plaisir du farniente...

Un essai fort intéressant sur la naissance du tourisme bourgeois et populaire, inspiré des loisirs aristocratiques. Son point de vue, qui conjugue progrès technique et transmission par le récit, est un parti pris original qui permet de brosser les évolutions du milieu du XIXe siècle à nos jours. 

Alors... bonnes vacances d'hiver à tous ;) (non, je ne pars pas, mais j'ai cru comprendre que la période du ski approchait !).

lundi 10 février 2014

Une rançon

Ce livre de David Malouf me tentait depuis sa (récente) sortie. Vous connaissez mon goût pour l'art, l'histoire et la littérature antique. Et ma faiblesse pour les grecs plus que pour les romains. Peut-être savez-vous également que j'ai un faible pour Hector. Bref, j'étais la lectrice idéale (en toute simplicité) pour ce roman.

David Malouf raconte un épisode clé de la guerre de Troie : la mort de Patrocle suivie de la mort d'Hector. Il s'intéresse plus spécialement à Priam, le père d'Hector et le roi de Troie, qui va demander à Achille de lui remettre le corps de son fils pour lui rendre les derniers honneurs. Achille est devenu une bête sauvage depuis la mort de Patrocle, un condensé de haine, de tristesse et de rage. Le fils de Pélée, chaque matin, attache le cadavre de son ennemi à son char et lui fait parcourir le champ de bataille, sous les murs de Troie. 

Achille cadavre Hector
Achille traînant le corps d'Hector,
peintre du Diosphos, - 490,
musée du Louvre

Ce roman est un régal. L'écriture en est simple, fine et poétique. Elle est très respectueuse du texte homérique, tant sur le fond que sur la forme. Mais elle est aussi très moderne en ceci qu'elle nous introduit aux ressentis et aux sentiments des personnages. S'attachant à décrire le cadre avec précision, l'auteur nous convie à un voyage. Celui de Priam jusqu'au camp grec. Un voyage dans la simplicité, loin du cadre contraignant de la cité. Un voyage avec un compagnon bienveillant, naturel et généreux, qui invite à poser un regard aimant sur le monde. C'est un très beau roman, qui se niche dans les vers du poème antique, qui invite à la contemplation, au pardon, à la compréhension mutuelle. Une trêve infime pendant cette guerre qui dure dix ans. L'auteur tisse des correspondances entre les personnages, fait appel à la filiation et établit d'étranges symétries. Par ailleurs, le divin y est diffus, le souffle épique apparaît en creux. Bref, c'est un moment qui n'est dédié qu'à l'homme et qui lui offre un peu de liberté, comme pour défier le destin. 

"Dans son monde à lui, un homme parlait seulement pour donner forme à une décision qu'il avait prise, ou exposer un argument pour ou contre. Pour adresser des remerciements à qui avait été brave, ou, avec colère ou un indulgent regret, des remontrances à qui ne l'avait pas été. Pour offrir un compliment dont les phrases ornées, et les appels à la vanité ou à la fierté familiale étaient fixés et de forme ancienne et approuvée. C'était le silence, non la parole, qui était expressif. Le pouvoir se trouvait dans la retenue. Il consistait à tenir caché, donc voilé de mystère, son dessein véritable. Un enfant pouvait se montrer bavard, jusqu'à ce qu'il apprenne la discrétion. Ou les femmes, dans le secret de leurs appartements. 
Mais ici, au dehors, si l'on s’arrêtait pour écouter, tout bavardait. C'était un monde bavard. Les feuilles qui roulaient dans la brise. L'eau qui bondissait sur les galets et qui revenait sur elle-même pour bondir encore. Les cigales qui composaient une si longue et si assourdissante stridence, puis soudain s’arrêtaient, pour vous laisser à nouveau conscient du silence. Sauf que ce n'était aucunement du silence, mais un froissement, un bruissement, un bourdonnement continu, comme si la présence de chaque chose était autant le son qu'elle produisait que la forme qu'elle prenait, ou sa façon, bien personnelle, de remuer ou d'être immobile". 

dimanche 9 février 2014

Auguste Perret, huit chefs-d'oeuvre !/?

J'ai profité du déjeuner pour aller voir cette exposition au Conseil économique, social en environnemental. J'y ai redécouvert huit chefs-d'oeuvre d'Auguste Perret, architecte du CESE et pape du béton : l’immeuble de la rue Franklin (1903), le théâtre des Champs-Elysées (1913), l’église du Raincy (1923), la salle Cortot (1928), le Mobilier National (1934), le Palais d’Iéna (1937), l’hôtel de ville du Havre (1950) et l’église Saint-Joseph (1951).

exposition perret cese

Sur la cimaise de gauche, les huit projets sont présentés : texte introductif, clichés et dessins. Une maquette accompagne chaque projet et met en valeur la structure des édifices. Parallèlement, la vie de Perret se déroule dans des vitrines disposées au centre de l'espace, séparant les réalisations de l'architecte des productions actuelles. Cet espace biographique (aux vitrines capitonnées façon steampunk) propose des archives, des meubles, des photos et des livres. Quant à la partie contemporaine, elle présente des photos des architectures de Perret (dans des classeurs géants un peu difficiles à feuilleter), des objets rapportés évocateurs et originaux (des œuvres qui se rapportent à celle de l'architecte tels qu'une barque en béton ou des objets du mobilier national), un film sans intérêt sur les habitants de l'immeuble de la rue Franklin et des projets architecturaux autour de grands concepts comme la colonne.

Si j'étais familière des projets dont les maquettes sont exposées à la Cité de l'architecture, j'ai été heureuse de découvrir des œuvres que je connaissais moins comme la salle Cortot. J'ai trouvé l'espace plutôt simple à appréhender et les cartels assez informatifs. Il manquait peut être une petite carte pour localiser les chefs-d'oeuvre (c'est mon côté géographe). La partie contemporaine est peut-être moins intéressante en termes d'informations mais est très imaginative. Dernière précision : il vaut mieux apprécier le bleu, la moquette et les capitons... la scéno en est pleine !

samedi 8 février 2014

La vie d'Adèle

Oui, je sais, j'arrive un peu après la bataille. J'avoue que je ne sais pas trop quoi vous raconter sur ce long film d'Abdellatif Kechiche...

L'histoire, vous la connaissez. C'est celle d'Adèle, lycéenne, qui découvre son attirance pour les femmes. Surtout pour Emma, une artiste. Elle se construit et grandit devant nos yeux. Pendant trois longues heures. Il y avait peut-être moyen de couper court à cette rupture qui traîne en longueur. En choisissant une vraie fin par exemple. 

Ce qui m'a déplu dans ce film ? Les scènes de sexe. Interminables. Intimes. Le spectateur est dans le lit des comédiennes. Littéralement. 
La lenteur de la deuxième partie.
Léa Sédoux. Si Adèle Exarchopoulos crève l'écran et dégage un truc fou, Léa Sédoux ne m'a pas semblé à la hauteur. Certes, ses cheveux attirent l'attention. Mais elle reste floue et pâle.
Le cadrage serré. C'est incroyable, on voit à peine un visage entier dans ce film...
Le côté sociétal avec les comparaisons entre les parents, la manif, les lectures et la philo. C'est cliché au possible.

Ce que j'ai aimé : La cruauté des adolescents. Les élèves d'Adèle. L'histoire d'amour.

Bref, j'ai l'impression d'avoir perdu mon temps et je ne conseille pas ce film. 

film cinema vie adele

vendredi 7 février 2014

Sous le gui

Cette nouvelle d'Angéla Morelli, c'est Love Actually ! Une vie normale, Noël, un petit miracle... Bref, c'est un moment de lecture qui fait chaud au coeur et qui donne envie de danser dans l'escalier avec Hugh Grant.

Nicolas vient d'emménager dans l'immeuble de Julie... qu'il rencontre de façon impromptue : elle se bat avec sa boite aux lettres à 1 heure du matin, en pyjama. C'est peut-être une heure indue, mais c'est celle qu'il faut pour que les enfants dorment et qu'il continuent à croire au père Noël. Veuve et mère de famille, Julie a le cœur sur la main. C'est un peu la bonne fée de l'immeuble. Et Nicolas ne va pas tarder à s'en apercevoir...

Angéla Morelli a su à nouveau me faire sourire avec cette jolie romance. Julie et Nicolas sont craquants avec leurs petits cœurs abîmés et leurs bibliothèques bien remplies qui se font des clins d’œil à quelques étages d'intervalle. Et bien sûr, l'auteur joue drôlement bien ici aussi avec les codes et les clichés (oh non, pas l'uniforme quand même... Ah si finalement, comme le kilt de Samuel). 
Conclusion de tout ça ? Vivement le suivant !


jeudi 6 février 2014

La femme gelée

D'un ton cru, intime et descriptif, Annie Ernaux nous conte son enfance, son adolescence et sa vie de jeune femme. Élevée par une famille qui a foi dans le travail, les lettres et les sciences, une famille de commerçants qui joue avec les stéréotypes, notre héroïne grandit et se construit par ses lectures et ses rêves.

Mais qu'a-t-elle aujourd'hui ? Une famille. Un mari. Un travail. Mais elle est seule. Seule avec ses rêves avortés. Seule avec une joie de vivre oubliée. Elle vit d'habitude et de routine. S'observe se fondre dans le moule de la bonne mère et de la bonne épouse. 

Je n'ai pas particulièrement accroché à ce roman que j'ai trouvé très lent et intimiste. Si le sujet me tentait bien (la condition féminine et ses stéréotypes me questionnent), je n'ai pas été emballée par son traitement. Toutefois, il a le mérite d'interroger sur l'égalité entre les sexes. Est-ce logique de mener une vie débordée par les obligations envers ses enfants, son mari, son travail, sans plus avoir une minute à soi ? Est-ce logique de préparer un repas quand l'autre lit le journal ? Tous les soirs ? Sans pour autant partager les autres taches ? Sans prôner le féminisme, Annie Ernaux nous fait sentir l'injustice de cette condition, elle nous rappelle que tout est loin d'être gagné en terme d'égalité et que les habitudes sociales et domestiques reviennent au galop si l'on n'y prend pas garde. 


mercredi 5 février 2014

1925, quand l'Art Déco séduit le monde

Est-ce une fascination pour les années 1930, ces années folles, qui attire les foules à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine ? Est-ce un goût pour l’art déco ? Toujours est-il qu’on est rarement seul pour visiter cette exposition (comprenez qu’il vaut mieux y aller en semaine que le week-end). 

Gentil et Bourdet, Projets pour un décor de mosaïque, 1915-1920

L’exposition débute par une vitrine comparative entre art nouveau et art déco. Se répondant en miroir, des objets aux formes typiques des deux mouvements artistiques sont présentés. Synthétique et efficace pour différencier les motifs ! 
On entre ensuite dans le vif du sujet avec une mise en contexte de l’époque : une première cimaise montre combien ces formes ont été adoptées sur tous les supports (mobilier, tapisserie, architecture, sculpture, peinture) par des artistes et artisans qui travaillaient main dans la main. Un ensemble thématique présente ensuite les nouveautés de la période : la vitesse de la voiture et de l’avion, la libération de la femme avec pour égérie la garçonne, l’influence de l’Afrique, la place du cinéma, etc. 

La seconde partie est tout entière dédiée à l’exposition des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 qui marque le début de la diffusion de ce nouveau style et qui rassemble des artistes tels que Ruhlmann, Mallet-Stevens, Chareau, les frères Martel ou Dufrêne. Sont exposés notamment une maquette d'arbre cubiste, une partie de la boutique Siegel, des objets du pavillon du collectionneur, des dessins des pavillons de la maîtrise, Studium, Primavera ou Pomone. L’ensemble vise à évoquer l’omniprésence de ce mouvement, dans tous les arts, de l’architecture au jardin, de la vaisselle aux meubles, des tissus à la sculpture. 

Ruhlmann, Meuble Elysée, 1920

Enfin, la dernière partie porte sur la diffusion du style art déco, notamment via les portfolios et les revues. Elle montre aussi combien ce style est utilisé pour tous types de bâtiments : magasin, immeuble d’habitation, casino. Quelques excursions au Brésil, au Japon ou au Maroc permettent de comprendre son internationalisation, complétées par des bornes multimédias bien remplies qui font naviguer le visiteur dans toutes les régions de France et sur tous les continents. 

En outre, une exposition dédiée aux enfants (mais appréciée des grands) intitulée « Grandir en 1925 » propose aux plus petits des objets à leur hauteur et de leur âge (jouets, décoration de chambre d’enfant) ainsi qu’une zone pédagogique avec des petits jeux. 

Si les cartels sont comme souvent assez mal placés et peu lisibles, les textes introductifs sont plutôt clairs. Pour ma part, j’ai eu la chance de suivre une visite guidée par les deux commissaires de l’exposition qui rentraient volontiers dans les détails et répondaient aux questions. L’exposition paraissait donc riche et fluide. Ceux-ci ont souligné que leur but n’était pas de parler de 1925 uniquement mais surtout de l’art déco (donc on oublie le pavillon de l’Esprit nouveau et Le Corbusier par exemple). On pourra toutefois reprocher une absence de perspective historique (l’influence viennoise est-elle un mythe pour qu’il n’en soit pas fait mention ?), de questionnement et de regard critique sur la réception de ce mouvement : certes, il est international, mais comment a-t-il été vu, aimé ou détesté ? Malgré ces quelques réserves, cette exposition permet de mettre en lumière les grandes figures de ce mouvement (et pas seulement en architecture) et présente des œuvres d'une grande beauté. 

Ruhlmann, Tasse et sous-tasse, réédition de 2007 d'après un modèle de 1933

mardi 4 février 2014

Eden Springs

Grande fan de Laura Kasischke, j'avais très envie de lire son très court roman (novella pour être précise) sur une secte du début du XXe siècle. A ma connaissance, ce livre n'a pas encore été traduit en français (mais il est très lisible en VO). 


1903, Benton Harbor (Michigan) accueille Benjamin Purnell qui y fonde la Maison de David. Le charismatique jeune homme annonce que seuls les membres de sa communauté, Eden springs, parviendront à la vie éternelle. Avec leur corps et leur chair. Le leader est rejoint par des disciples venus du monde entier, la secte s'étoffe et grandit. La communauté cultive vignes et vergers. C'est un peu le paradis sur terre. Bien sûr, il y a des règles : chacun doit rester chaste, ne pas manger de viande, etc. Quelques années après sa fondation, la Maison de David diversifie ses activités et ouvre un parc d'attraction et un zoo. Cela ne semblait pas forcément contradictoire avec la joyeuse philosophie de cette secte. 
Néanmoins, le vers est dans le fruit... Benjamin n'est-il pas trop beau et charismatique ? Ne plait-il pas trop aux jeunes filles ? Et qui est cette jeune femme que le fossoyeur a enterré en croyant ensevelir une vieille dame ? 

Laura Kasischke propose ici un roman illustré de photos et de cartes postales de cette Maison de David (qui a réellement existé et dont le parc d'attraction vient d'être remis en activité). Elle parsème son texte d'extraits de journaux. Et nous propose de pénétrer dans cette communauté au bord du déclin. Nous rencontrons les jeunes vierges qui entourent Benjamin, la vieille Cora Moon qui le conseille, la belle et rebelle Lena qui veut fuir les lieux. Le puzzle se met en place. Certaines pièces nous déconcertent voire nous dérangent : les victimes seraient-elles aussi coupables ? Mais l'ensemble fait sens. 
On retrouve dans ce texte le style cru de Laura Kasischke. On y lit le thème de la décomposition, très présent dans ses autres romans, cette pourriture sucrée des fruits trop mûrs. L'atmosphère est mystérieuse et malsaine mais pas aussi pesante que dans ses derniers écrits. Il y a ici une subtilité presque perverse qui nous fait imaginer ce que l'auteur tait.

Bref, le thème de ce livre et son traitement, un peu différent de ce à quoi Kasischke nous a habitué, m'ont beaucoup plu. J'ai été fascinée par cette secte. J'ai aimé cette façon de présenter les personnages par quelques facettes et de nous laisser imaginer le reste, de confronter roman et réel, de ne pas donner de solution mais de laisser le lecteur trancher.